Chronique d’un stage dans le campo charro. Troisième partie.
Dimanche, tous ces kilomètres en si peu de temps commençaient à « s’accumonceler » et un réveil à 10 heures du matin, de la nouvelle heure, fut le bienvenu.
Nous étions en attente du groupe d’élèves pour la fin d’après-midi, nous avions donc quartier libre. Aussi, nous décidions de visiter les environs, Salamanca étant aux dernières nouvelles, interdite d’entrée et de sortie. Avant de rejoindre notre ami Pepe pour le déjeuner, nous avions lu sur la carte « antigua Plaza de toros« , il ne nous fallait que ça pour aller visiter.
Quelle surprise, dans ce minuscule village de Vega de tirados, de nombreuses portes et murs sont peints d’images naïves et colorées en trompe-l’oeil. Cela met un peu de joie dans cette journée froide et pluvieuse. La photo satellite nous indique la vieille placita , tout en haut de la colline. C’est vraiment pour les amateurs amoureux de vieux souvenirs ! Une succession de traverses de chemin de fer ordonnées pour ce que l’on imagine avoir été un lieu où voici très longtemps des gens ont joué avec des toros, ont eu des joies, des rires, des peurs… Des arbres ont poussé au milieu du ruedo, on devine ce qui faisait office de burladero… C’est émouvant. La pluie glacée rajoute au caractère un peu tragique de la scène.

Pepe avait eu la gentillesse de nous apporter les capotes commandés par les élèves à Don Antonio, de la sastrería Fermín. Ce dernier étant bloqué à Madrid, nous avions trouvé cette solution de livraison à domicile, le « Pepe Premium » !!!
Comme à son habitude, il nous avait déniché un excellent restaurant pour goûter aux spécialités de la zone. En sa compagnie, nous essayions d’imaginer ce qu’allait être le futur de la fiesta et le vin aidant celui de notre société occidentale… Un individu extérieur aurait pu considérer nos échanges comme une séance du café du commerce, mais cela nous plaisait de deviser de la sorte tant l’absence de San Isidro, cette année, nous avait privés de ces discussions que nous avions habituellement après chaque course.
19h, tout le groupe arrive de Nîmes en minibus Mercedes, Clément et Nino de Bordeaux. Ils n’ont pas l’air trop fatigués. Nous sommes heureux qu’ils soient là. En revanche, ils ont faim, c’est un peu tôt pour l’Espagne mais il ne faudra pas les faire trop attendre, capables qu’ils pourraient être de s’attaquer aux assiettes et aux verres vides !
Nos chauffeurs Dominique et Jean-Luc sont aussi heureux d’être là, malgré la fatigue, même s’ils sont aguerris à ce genre de réjouissances.
Après le dîner, les consignes sont données : petit déjeuner dès 8h, départ à 9h pour rejoindre la ganadería. Chacun regagne sa chambre, demain débute le stage d’entraînement tant attendu.

Le départ était prévu à 9h, tout le monde n’est pas prêt, nous nous devons d’être à l’heure au rendez-vous avec le ganadero que nous ne connaissons pas. -Tant pis, nous partons de l’hôtel pour 50km jusqu’à Campo Cerrado. Ils se débrouilleront avec les gps et les géolocalisations. Seulement, là où nous allons, nous découvrons que le téléphone ne fonctionne pas ou très mal…
Nous rejoignons la Fuente de San Estéban pour retrouver le ganadero. Il est là, nous attend. Il parle parfaitement le français. Nous devrions être 3 véhicules, il n’y a que nous. Tout d’un coup, nous voyons passer le minibus devant nous en trombe sans s’arrêter, l’autre voiture est loin derrière ! Nous ne sommes pas encore organisés façon cloche tibétaine, éparpillés que nous sommes, ça commence mal !
On démarre du Cruce où nous gardons de si jolis souvenirs et partons direction Ciudad Rodrigo derrière le ganadero. 1km plus loin, passée la gasolinera Cepsa, c’est tout de suite à gauche. Une longue route sinueuse mais large au beau milieu de ce campo sublime, de tous côtés des vaches, leurs veaux et des toros, paisibles, noirs…une lumière du matin, l’humidité sur l’herbe vert tendre, un campo superbe, sous un joli soleil d’hiver, il fait 8 degrés mais c’est tout-à-fait supportable…. Nous y sommes.
Luis qui nous rejoint arrive, manquent toujours les 3 vedettes du quartier, Nino, Clément et Raphaël, tout affairés qu’ils étaient à se pomponner !
Nous entrons par un chemin boueux, longeons le campo d’Atanasio Fernandez et c’est un peu plus loin… Là, plus rien d’autre que les bêtes, le campo, pas ou très peu de couverture téléphonique, plus de Facebook, Instagram et autre Twitter, le lâcher prise est quasi total. On est en plein stage de remise en forme !
A l’entrée du campo, un peu plus loin, un groupe d’une cinquantaine de jolis petits veaux noirs, bien regroupés, tels la cour d’une maternelle, avec quelques vaches monitrices.
Le ganadero nous accueille et nous présente son élevage, pendant que l’on entend des bruits de portes métalliques qui claquent, des vaches qui rouspètent. 2 hommes s’affairent, très concentrés pour préparer la séance du jour : nous reconnaissons le Maestro Juan Leal et son banderillero Agustín de Espartinas, qui lui aussi est matador. Déjà, nous prenons une première leçon d’humilité : parti de Séville à 4h30, Juan est comme on l’avait déjà vu à la Fragua, partout à la fois pour que tout soit parfait. C’est le même qui a triomphé à Madrid, à Bilbao, l’an dernier, à Istres il y a une semaine et à Barcarrota avant hier; il sait que tout recommence tout le temps, que les succès font plaisir mais ne durent qu’un moment. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » disait Boileau, ça pourrait être la phrase du jour.
Après avoir récupéré tous les élèves, la séance peut débuter.
Le Maestro Leal donne aux élèves des indications sur le bétail et leurs réactions à la cape et à la muleta . Tout le monde est prêt, tous en piste pour une photo et hop, « tapaos » pour la sortie de la première vache. Il y en aura 40 sur 5 jours !
Le Maestro dirige cette classe avec une grande précision technique, sa gentillesse habituelle et une attention de tous les instants à tout ce qui se déroule autour de lui. Agustín, son fidèle compagnon de route, lui aussi, est très efficace, comme il l’est toujours dans les ruedos . Nous avons conscience que c’est un véritable privilège qu’ils nous consacrent ces quelques jours.
J’espère que les petits le réalisent.
Le premier entraînement se déroule de façon très fluide, chacun apprenant quelque chose, le bétail de Don Andoni donne beau jeu, très uniforme, des conditions idéales pour travailler sérieusement la technique et faire des progrès.