L’histoire du Domaine de Méjanes, par Michèle Ricard (20).

Poursuivons aujourd’hui avec mon ami Freddy Porte. Freddy est une grande figure de la Camargue, à la grande culture et à la grande élégance aussi. Dont le destin a largement croisé celui de Méjanes.

Il nous confie…
«J’entretiens avec Le Domaine de Méjanes, depuis les années soixante, une véritable histoire d’Amour.

J’ai aimé Méjanes en tant que rejoneador, aficionado, artiste équestre et en tant que journaliste. Je me suis produit sur les plus belles scènes de France et d’Europe, à Paris, à Saumur, à Genève, à Vérone… mais c’est à Méjanes, toujours, que mon cœur battait le plus fort.

Le Domaine de Méjanes représente, pour moi, le Temple, le Sanctuaire, le Saint des Saints de la Camargue et de sa culture, de ses traditions, en particulier, des traditions tauromachiques.

Le Rejoneo en France ne serait d’ailleurs pas ce qu’il est s’il n’y avait pas eu Méjanes. N’oublions pas que la plus plupart des rejoneadores français ont débuté à Méjanes…

En 1971, avec les Cavaliers de l’Apothéose à Méjanes, c’est la première fois en France que nous découvrions une corrida entièrement consacrée au Rejoneo, et ce, avec les plus grands rejoneadores espagnols de l’époque.

C’est la première fois que nous accédions de manière intime à la pureté d’une culture dont certains détails nous échappaient encore. Loin de démériter les cavaliers français qui nous avaient précédé se produisaient encore à cette époque dans un métissage culturel camarguais-ibérique. (Ces derniers s’exprimaient avec beaucoup de courage et de talent et ce de manière instinctive).

Ce fut pour moi l’occasion de comprendre qu’il fallait rompre avec cette manière de faire. Mes confrères Jacques Bonnier, Gérald Pellen et Luc Jalabert firent le même constat et ainsi une nouvelle ère s’ouvrit pour la corrida à cheval française. L’univers ultra-fermé des toreros espagnols ne s’ouvrit pas facilement, nous l’avions entrebâillé, il fallut beaucoup de travail et d’énergie pour nous faire une place.

Je me souviens du mozo de espada d’un réjoneador cette année-là qui, en échange d’une pièce, me permit de mesurer la taille des caisses, des banderilles, des rejons de castigo,… de son Maestro : le Graal.

Depuis ce jour du 14 juillet 1971 je n’ai raté aucun Rejon d’Or. La particularité de Méjanes lors de ce rendez-vous exceptionnel, au vu de l’excellence des cartels présentés, réside dans le fait que le public de passionnés pouvait accéder tôt le matin aux coulisses et apprendre en observant.

Il n’existait, surtout à cette époque-là, aucun autre lieu qui permettait cela. Assister à la préparation des chevaux, à la mise en place du matériel, à la détente jusqu’à l’entrée aux arènes. Longtemps, ce fut le seul rendez-vous de ce genre.

Pour ma part je fis mon premier paséo dans ce lieu mythique le 30 avril 1972.

C’est à Méjanes aussi que les français découvrent pour la première fois, l’excellence de la Doma Vaquera.

Nous sommes dans les années 80, le grand cavalier sévillan Rafael Jurado réalise avec son cheval «Malandrin» une éblouissante démonstration de Doma Vaquera. Le Maestro est venu avec son équipe pour un spectacle complet.

Parmi ses cavaliers, le jeune Joaquin Oliveira sur la jument du fer de Peralta, «La Centenaria». Le couple est très remarqué ce jour-là, avec une équitation très juste, très campera. Le jeune espoir atteindra d’ailleurs très vite le plus haut niveau de la discipline.

La présentation de ces cavaliers, cette année-là, fut certainement une grande source d’inspiration pour le développement de la Doma Vaquera en France.

A Méjanes, tout est possible. Je me souviens toujours dans les années 80 : il avait plu des trombes d’eau toute la nuit et une partie de la matinée, la piste de Méjanes était quasi-impraticable, la corrida du Rejon d’Or compromise.

N’importe où ailleurs, la course aurait été annulée. Mais ce matin-là, je vis Angel Peralta, la pioche à la main, Alvaro Domecq, avec la pelle, au milieu de la piste, orchestrer la noria des camions chargés de sable…..

Tous mirent la main à la pâte des heures durant… Le Rejon d’Or a pu avoir lieu, malgré tout, dans ces conditions de préparation apocalyptiques. Les arènes sont bondées, la course est grandiose.

Il n’y a qu’à Méjanes que cette détermination-là existe, que cette envie de rendre l’impossible possible pour le plaisir de tous.

En juin 1976 je toréais à Méjanes, en mano à mano avec Gérald Pellen, des toros du Mas de L’Ilon (je coupais une oreille à l’exemplaire qui m’était opposé). Le soir même, Ramon Gallardo, qui, à cette époque, œuvre beaucoup au succès des arènes, me demanda de bien vouloir, dans le cadre d’un reportage «Vie ma vie de rejoneador» pour le magazine « Salut les Copains », initier le chanteur Gérard Lenorman à la tauromachie à cheval.

Pendant une semaine je profite donc de cette expérience insolite, au domaine, aux côtés de la star du Top 50. Je suis logé dans les cabanes de gardians mises à disposition des touristes. Un souvenir de «jolies vacances de star» à Méjanes !

De Méjanes, des souvenirs, j’en ai plein le cœur et des images plein la tête. Enfin, plus récemment, les plus belles émotions ressenties…

En 2011, Michèle Ricard me demanda de rédiger et de faire la narration du périple que je venais de réaliser avec son époux Paco Ortiz et la délégation camarguaise à l’occasion de la Saca de las Yegas…

J’eus le plaisir de raconter cette belle aventure lors de l’AG du Club Méjanes qui précède chaque année de quelques heures la course du Rejon d’Or.

En 2013, je suis dans les arènes de Méjanes pour recevoir mon ami Paco. Il arrive à cheval de Séville… 1 700 km parcourus sur son fidèle destrier hispano-arabe-russe « Manguara ». Un exploit d’endurance et de détermination dans la solitude, dans le cadre du rapprochement du Parc de Camargue et de celui de Doñana en Andalousie.

En 2016, Michèle Ricard toujours, me demande de collaborer à l’hommage qui est rendu en prélude du Rejon d’Or aux rejoneadors français. Quel honneur pour moi de retrouver la piste mythique pour y prononcer ce discours …

La veille, je reçus la médaille du Club Méjanes, attribuée également ce jour-là à Angel Peralta : immense honneur ! 

Voici une sélection de souvenirs de Méjanes… mais nous vivrons encore bien d’autres aventures dans ce domaine si spécial.

Pour terminer, je veux souligner toute la générosité de ce lieu, toute la générosité de cette famille Ricard qui sait donner aux aficionados qui veulent en saisir l’occasion, le meilleur de ce qui se fait ».

Merci pour ce merveilleux récit et tous ces beaux souvenirs partagés à Méjanes. Merci !

Photos : DR – Martine Clément – Michel Naval – Paco.