Avant la Feria d’Istres qui arrive à grands pas, il nous a semblé intéressant de rencontrer Bernard Carbuccia « Marsella »,le maître d’oeuvre de cette feria pour qu’il nous en conte l’histoire, mais aussi son présent et son avenir.
torobravo : Commençons par un petit historique de la Feria qui, si je ne me trompe pas, a vu le jour en 2002.
BC : l’inauguration, c’est 2001 et la première feria, juin 2002.
torobravo : qui est à l’origine de cette Feria ?
BC : la Feria a été créée par Istres Aficion. Il y avait eu auparavant une feria avec des spectacles au mois d’août montés dans les années 90 par une association à laquelle appartenaient André Viard, Pierre Charrain et Georges Yvon (NdR : actuel Président de la Commission Taurine d’Istres). Ensuite il y a eu la création des arènes du Palio, en 2001 l’inauguration et 2002 la première feria en juin avec Istres Aficion et c’était Robert Margé qui était prestataire de service.
torobravo : en quelle année es-tu arrivé ?
BC : en 2002. En fait, j’ai été recruté par l’office de tourisme en 2001 et j’ai travaillé avec Istres Aficion qui, elle, travaillait avec Robert Margé. J’ai travaillé comme cela pendant trois ans. Puis Istres Aficion a été dissoute et j’ai fait le lien entre la ville et le nouveau prestataire de service qui était Jalabert jusqu’en 2006. En 2007, la ville a pris la gestion des arènes en direct. Ça a été un tournant capital, décisif, car à partir de 2007, les arènes ont été gérées en direct par mon intermédiaire en associant la commission taurine.
torobravo : on voit en consultant les cartels qu’à partir de 2007, la feria est montée en puissance.
BC : en 2007 on est passé à trois jours de feria avec une corrida portugaise, une novillada sans picadors, une novillada piquée et deux corridas et pareil en 2008. Le premier tournant ensuite a été en 2009 quand une figura comme Castella a accepté de venir à Istres et en même temps nous avions programmé pour la première fois les Miura. Egalement cette année-là la présentation en France des Torrehandilla qui sont revenus l’année suivante. En 2009 donc la feria a pris une autre dimension car le fait de programmer Castella et aussi les Miura a propulsé Istres vers le haut niveau.
torobravo : Espla et Conde étaient aussi au cartel avec Castella.
BC : oui, et il faut souligner que c’était l’année de la despedida de Luis Francisco Espla qui venait de triompher à Madrid et qui est venu à Istres dans la foulée.
torobravo : à partir de cette année-là, les figuras sont venues à Istres : El Juli, Morzante, Manzanares, …
BC : oui, on peut dire que pratiquement toutes les figuras actuelles sont venues à Istres, à l’exception de Perera et de Cayetano.
torobravo : Espartaco est venu en 2010 à Istres…
BC : oui, c’était pour fêter les dix ans d’alternative de Castella qui avait doublé lors de cette feria. Espartaco avait bien voulu remettre le costume de lumières pour fêter cet anniversaire en mano a mano avec Castella.
torobravo : la venue d’Espartaco a ouvert la voie à d’autres événements : en 2013 le solo de Juan Bautista en 2013 et le mano a mano Morante-Castella, en 2014 la venue de Ponce pour la première fois et le retour ponctuel de Joselito, en 2015 les mano a mano Bautista-Fandiño et Morante-Juli, en 2016 l’encerrona de Ponce, en 2017 le mano a mano Mendoza-Léa Vicens et le retour ponctuel d’El Fundi. Que des corridas qui sortent de l’ordinaire !
BC : à un moment donné, on se rend compte que « monter des corridas pour monter des corridas », ça n’intéresse pas grand monde. Ce qu’on aime bien à Istres, c’est avoir un fil conducteur, toujours raconter des histoires. Vous avez remarqué qu’à chaque corrida il y a un titre, on aime ou on n’aime pas mais c’est ce qui permet tant à l’aficionada qu’au néophyte d’avoir des repères. Et donc à travers ces histoires se bâtissent les ferias. Ça avait débuté avant les six toros de Jean-Baptiste. Il y avait eu aussi une histoire émouvante avec Antonio Barrera. On peut dire aussi que, hormis les budgets, les relations humaines ont toujours pris une place capitale dans la programmation des ferias, dans des projets qui se font très tôt et qui deviennent après des réalités. C’est un peu notre identité. Chaque année, quand on présente une feria au mois de janvier, le but est d’arriver à surprendre l’aficion, d’une manière ou d’une autre, sans cahier des charges imposé. On a tenté, et on tentera encore, des nouvelles formules. On essaie chaque année d’innover, de surprendre, car on se rend compte que ce qui faisait le buzz quelques années en arrière aujourd’hui ne le fait plus. Il faut être en permanence en train de se remettre en question.
torobravo : la feria se présente chaque année très tôt. Pourquoi ce choix ?
BC : quand je travaillais avec Jalabert ou Margé, les choses se faisaient plus tard, et on se rendait compte, sans dénigrer personne, qu’il n’y avait pas de vrai projet taurin, et qu’il n’y avait personne dans les arènes. C’était la désolation. Le fait d’avoir pris ces arènes en direct avec l’appui de François Bernardini (NdR : le maire d’Istres) et en impliquant la commission taurine, a permis, ce qui est un grand privilège, de travailler une année sur la feria. Dès qu’une feria se termine, la suivante commence. Pour se donner le maximum de chances de communiquer, de remplir nos arènes, au plus tôt la feria s’annonce, au plus tôt la taquilla s’ouvre. Au plus tôt on démarche les entreprises, et il y en a près de 300, mieux c’est, et ainsi on se donne le maximum de chances de réussir. Tout ce qui est vendu avant n’est plus à vendre. Et aujourd’hui notre fonctionnement est bien huilé.
torobravo : une feria sitôt terminée, une autre se met en place…
BC : oui, quand je commence à négocier, à visiter les premiers élevages, la temporada n’est pas encore terminée. Au départ ça surprenait même les apoderados et les éleveurs, mais aujourd’hui, ils sont habitués au fonctionnement d’Istres qui fonctionne un peu différemment des autres arènes. C’est ce qui nous rassure et nous conforte dans notre manière de travailler. Tout faire pour créer l’engouement et remplir nos arènes.
torobravo : Enrique Ponce vient maintenant depuis quatre ans…
BC : il a tardé à venir mais dès qu’il a mis un pied, il est devenu le roi d’Istres. Il a donné tellement de bonheur à l’aficion dans ces arènes qu’il est devenu incontournable au Palio.
torobravo : Castella a ouvert la voie, Ponce est venu…
BC : il y a eu la grande tarde de Jean-Baptiste avec les six toros, il y a eu Morante qui a « cuajé » des toros à Istres et qui a été formidable, et toutes les figuras qui sont venues. El Juli aussi qui a triomphé à plusieurs reprises, … Forcément ça a positionné cette feria, même avec une arène de capacité réduite, à un haut niveau. Ça lui a donné un cachet particulier de l’autre côté des Pyrénées. Avec un fonctionnement bien différent et de la crédibilité, Istres est devenue une arène sérieuse. Le bouche à oreille a joué tant du côté des professionnels que des aficionados.
torobravo : y-a-t-il des figuras qui sont encore réticentes pour venir à Istres ?
BC : non, il y en a même qui nous contactent pour venir toréer, ce qui est fou. C’est une satisfaction que d’arriver à faire connaître cette arène partout sur la planète des toros. Aujourd’hui on ne peut plus sortir une affiche et attendre que les aficionados passent à la taquilla. Une arène, il faut y passer vingt-quatre heures sur vingt-quatre, y travailler toute l’année, et c’est ce que j’ai la chance et le privilège de pouvoir faire. On a connu des moments de fortune mais on a connu aussi des moments plus difficiles. La grande satisfaction, c’est que chaque année il s’est passé quelque chose. C’est une arène qui ne peut pas laisser indifférent. Les aficionados ont hâte chaque année de découvrir les cartels, tu as vu le monde qu’il y a à chaque présentation, et qui ensuite se précipitent pour acheter les abonnements. Ils se disent qu’à Istres on verra forcément quelque chose. Et j’espère que cette chance continuera à nous sourire encore de nombreuses années.
torobravo : peut-on dire que Castella qui est venu sept fois, Jean-Baptiste qui est venu onze fois, et Ponce qui vient pour la cinquième fois consécutive, sont les bases de la structure des cartels ?
BC : Jean-Baptiste triomphe chaque fois qu’il torée à Istres. C’est difficile de monter la feria sans lui. Castella, quant à lui, nest pas venu toutes les années. Une base de figuras doit continuer à constituer l’ossature de la feria d’Istres. On ne peut pas du jour au lendemain se passer des figuras. Pour monter une grande feria, il faut qu’il y ait des figuras. Tout dépend ensuite du projet qui naît assez tôt. Ce qui a fait connaître Istres dans le monde entier, c’est le retour de Joselito. Cette corrida a été historique, elle a été de notoriété mondiale, elle a été enviée par tous les empresarios du monde. Ce qui nous est arrivé est quelque chose d’unique, un vrai miracle ! Et là pareil, en rapport avec une relation humaine. Un projet, une simple discussion qui a abouti à quelque chose d’utopique et qui s’est réalisé. C’est une grande fierté et ça, on ne pourra jamais nous l’enlever.
Mais cela nous a aussi un peu déstabilisés, car à partir de là, que faire ensuite ? C’est aussi ce qui s’est passé à Nîmes avec José Tomas quand il est venu tuer les six toros. Que faire ? On ne peut pas inventer ce qui n’existe pas. On sait très bien que les vedettes ne se renouvellent pas. Ça fait vingt ans qu’on voit les mêmes. Toute cette nouvelle génération pétrie de qualités qui sont des vrais héros de l’arène parce qu’ils ont un courage hors norme, forcément qu’il faut les programmer mais ils n’ont pas encore l’aura pour déplacer les foules. Donc c’est vrai que la problématique se pose chaque année, que faire ? Voilà la question qu’on me pose souvent : « qu’est-ce que vous allez faire l’année prochaine ? » Pour parler de 2018, ce qui a le plus surpris, c’est d’avoir diversifié la feria, de l’avoir ouverte à toutes les sensibilités que l’on peut retrouver chez les aficionados. Je crois que ce qui a été apprécié, c’est le fait qu’on se soit remis en question, parce que l’an dernier tout n’a pas été parfait, loin de là, et il faut se donner toutes les chances pour rassembler un maximum d’aficionados autour de cette feria. Les arènes sont commodes, agréables, la date est bonne car on tombe à une période où on n’a pas trop de concurrence en Espagne. Sauf l’an passé où on a décalé la feria à cause des élections législatives. Là on s’est rendu compte que c’était plus compliqué le week-end d’après, avec quatre ou cinq ferias importantes en Espagne. Cette année c’est l’idéal, troisième week-end de juin. Ça a pris date dans le circuit des ferias françaises. On a changé notre fusil d’épaule tout en gardant la qualité et le très haut niveau. On espère que cette feria donnera satisfaction. Quand l’heure du bilan viendra, on en tirera les conséquences pour pouvoir péréniser, pourquoi pas, la feria de cette manière.
torobravo : la programmation est-elle une programmation personnelle, une programmation d’équipe ? Est-ce que l’orientation de la feria se donne en commission taurine ?
BC : j’ai la chance d’avoir un maire, François Bernardini, qui m’a mis le pied à l’étrier, et je lui en serai éternellement reconnaissant, et qui me fait confiance pour l’élaboration des cartels. Ensuite, parce que je suis un passionné, j’ai besoin de prendre des notes. Une fois que la feria est terminée, on est en pleine temporada, et il faut se rapprocher de l’actualité aussi, voir un petit peu les toreros émergeants, voir les figuras qui se consolident, voir un torero qui s’est bonifié comme le bon vin, comme par exemple Antonio Ferrera qui a pris une dimension exceptionnelle. Tout ça, c’est des facteurs. Les ganaderias également. Mais j’aime bien aussi aller à la rencontre des clubs taurins, des aficionados, et écouter un peu tout le monde, parce que les vérités, personne ne les détient vraiment. Et surtout être proche de ceux qui passent à la taquilla. Il y a aussi les membres de la commission taurine qui sont des aficionados qui ont aussi leurs doléances. On n’est pas forcément toujours d’accord sur tous les points mais je tiens compte aussi de leurs réflexions. Les cartels, je les compose tout seul. La commission taurine est une grande famille, on se voit quasiment tous les jours et donc on a le temps de discuter en amont. A l’heure de vérité, c’est moi qui prends les décisions. Ensuite je présente la feria d’abord à Monsieur le Maire, puis aux membres de la commission taurine avant de les annoncer officiellement en janvier.
torobravo : la feria, c’est donc un ensemble de paramètres dont il faut tenir compte.
BC : oui, c’est un tout. Sans oublier le bilan de la feria passée dont il faut tenir compte aussi. L’an dernier par exemple on a tenté la corrida de rejon. On a monté un cartel unique, un cartel qui ne s’est jamais fait, d’un niveau exceptionnel, un mano a mano entre deux figuras qui n’avaient jamais toréé à Istres, et on n’a pas rempli les arènes… Forcément ça nous a orienté à ne pas programmer de rejon cette année car si le succès artistique a été au rendez-vous, le succès populaire ne l’a pas été. Ce qui peut marcher à Nîmes ne marche pas à Istres, et vice versa. Ça rejoint ce qu’on a dit précédemment, tirer les leçons du résultat artistique d’une année sur l’autre pour rebondir sur l’année d’après.
torobravo : avant d’annoncer les cartels au public, as-tu déjà été obligé de les modifier ?
BC : non, ça n’est jamais arrivé car chez nous il y a une bonne ambiance et tout le monde sait que quand je propose quelque chose, c’est toujours de qualité. C’est toujours après une vraie recherche, un vrai travail en amont, c’est toujours basé sur une relation humaine, sur cette histoire à raconter qui comble aussi bien la commission taurine que le maire.
torobravo : il y a deux parties dans la programmation, la feria proprement dite et les spectacles organisés dans le cadre des fêtes d’Istres. On a évoqué la feria, parlons des fêtes. Va-t-on rester sur la novillada ?
BC : les fêtes d’Istres ont toujours été marquées par la traditionnelle novillada qui était montée à l’époque par le toro-club avec Pierre Pouly. Ensuite ça a été avec l’équipe Pierre Charrain-André Viard, puis avec Robert Margé. Puis il y a eu des corridas dans les anciennes arènes. Avec la construction du Palio, on a eu une corrida de Margé à deux reprises une corrida d’Adelaida Rodriguez aussi, il y a eu des novilladas piquées, il y a eu des corridas portugaises, il y a eu des novilladas sans picadors. Il n’y a pas de cahier des charges qui impose, le souhait du maire est qu’il y ait des toros durant les fêtes. C’est en fonction de ce qui se programme durant la feria. C’est vrai qu’on a tenté pas mal de choses mais il nous a semblé important de revenir à la novillada piquée parce qu’il y en a de moins en moins et que ça peut porter tort à la tauromachie. Il ne faut pas que les novilleros soient pénalisés de ne pas pouvoir toréer, que les ganaderos français ne puissent pas faire lidier. La novillada est le spectacle idéal aussi bien pour promouvoir les toreros de demain que les ganaderias. A l’unanimité, cette novillada piquée a été programmée en 2018 et les fêtes d’Istres continueront à se programmer en faisant un clin d’oeil à la tauromachie espagnole.
torobravo : c’est aussi la première fois qu’il y a une programmation sur une journée complète ?
BC : oui, le matin c’est pour tendre la perche aux élèves des écoles taurines, à un éleveur comme Turquay qui n’est jamais venu à Istres. On essaie de dynamiser la journée pour que les gens passent la journée à Istres.
torobravo : parle nous de la politique de prix pratiquée à Istres. Fait-elle partie d’un cahier des charges ?
BC : ça fait partie de la confiance que nous accorde Monsieur le Maire. Chaque année on établit un budget. Quelquefois on s’aperçoit qu’on a du mal à vendre certaines places. Cette année on propose un abonnement à 120 € pour les quatre corridas et la novillada piquée en places numérotées dès le quatrième rang. C’est unique quand on sait qu’à Istres, même au dernier rang, vous êtes proche de la piste car l’intimité des arènes, c’est aussi un plus. Il me semble que, par les temps qui courent, c’est une bonne stratégie.
torobravo : que peut-on faire pour maintenir le niveau des arènes, le plus dur n’étant pas souvent d’arriver à l’excellence mais de s’y maintenir. Va-t-on continuer à programmer des événements ? As-tu déjà une idée sur la programmation de 2019 ?
BC : ça peut paraître ridicule, mais j’ai déjà quelques projets qui vont changer, qui vont évoluer, qui vont mûrir, parce qu’à la base je suis passionné. Je ne peux pas concevoir de monter des ferias sans qu’il y ait des événements. Cette feria 2018 est importante car elle est différente des autres années, on en attend énormément, on a beaucoup d’espoir. Ça peut être l’ossature des prochaines ferias d’Istres en essayant de trouver l’équilibre susceptible de ravir tout le monde.
torobravo : et au niveau de la sécurité ? Cette année le nombre de callejons a été réduit.
BC : il y a un problème d’assurance et de sécurité. Il y avait trop de monde en contre-piste et donc logiquement le nombre a été réduit. Il en va de la sécurité de tout le monde, car au cas où un toro sauterait, il faut que tout le monde soit protégé. Et aussi pour donner encore plus de crédibilité à cette feria, car le callejon c’est quelque chose de privilégié et ça ne peut pas devenir banal.
torobravo : ce qu’on peut donc te souhaiter pour finir, c’est un succès artistique et un succès populaire.
BC : Il reste encore quelques places à vendre, et à un gros mois de la feria, c’est maintenant que les choses vont se jouer. Il nous reste à peu près une moyenne de 500 places à vendre par corrida sur une capacité de 3000 places. Notre quota d’abonnés a été acquis. Les cartels ont assez d’arguments pour déplacer chaque jour une aficion différente pour remplir les arènes du Palio.
torobravo : merci pour ces moments passés ensemble et suerte pour l’édition 2018 de la Feria d’Istres !
Propos recueillis par Paco à Nîmes le 11 mai 2018.
Les cartels de l’édition 2018
Les toros de l’édition 2018 (dans l’ordre de sortie)
Photos : Michel Naval




