Albert Camus était-il aficionado a los Toros ?

Né à Mondovi (Drean aujourd’hui) près de Bône (Annaba), dans le Constantinois, en Algérie, d’une mère espagnole, Catherine Sintès et d’un père français d’Algerie, Lucien, Albert Camus a passé son enfance au quartier Belcourt à Alger, où le football était plus de mise que les toros. Il sera d’ailleurs gardien de but junior du Racing Universitaire d’Alger.

Sa première épouse Francine Faure est originaire d’Oran. Albert y fera de longs séjours. Il écrira «La Peste», dont l’action se déroule dans la cité oranaise. La population y est espagnole à 65%. Patrie de la «Mouna» (1), c’est également la première plaza d’Algérie avec les célèbres Arènes Eckmühl inaugurées en 1954, le dernier séjour de l’écrivain datant de 1953, dont exit.

Camus peut avoir rencontré la corrida, dans le Sud-Est de la France, car il résidera à l’Isle sur Sorgue chez son ami René Char, mais aussi à Lourmarin. On le croise également à Arles, durant l’année 1959.

Il est impossible que le recours à une terminologie taurine dans son œuvre littéraire et théâtrale soit seulement le fruit du hasard, «un imaginaire espagnol de ce qu’il appelait son hispanolitude» (Bartolomé Bennassar) (2)

Par ailleurs l’écrivain adaptera la Dévotion à la Croix (Calderon de la Barca) et le Chevalier d’Olmedo (Lope de Vega)

Michel Gallimard a tourné en 8 mm un film chez lui à Melun , style «week-end en famille». Albert Camus, dans un paseo fictif défile, précédé par deux enfants jouant le rôle d’aguazil. Il exécute quelques passes avec un foulard, puis estoque un toro imaginaire, salut au public et joie visible du Torero et de l’aréopage.

https://archive.org/details/AlbertCamusUneTragedieDuBonheurHistoireFev.2008

Vraisemblablement le déroulement de la lidia ne lui était pas inconnu.

En 1947, sous l’impulsion de deux psychiatres, originaires des Pyrénées Orientales, le Dr Henry Ey, natif de Banyuls des Aspres et du général Venance Paraire d’Arles sur Tech, est créé le Club Taurin de Paris. Cette entité doyenne de l’Aficion parisienne a pour but de partager la passion des toros et des toreros et de faciliter les voyages en Espagne pour les découvrir.

Un courrier attestant d’une réunion au club, invite Camus en tant que sympathisant. Dans une lettre à son ami René Char, Albert Camus déclare : «je ne peux admettre le bannissement des taureaux, étant membre du Club Taurin de Paris» (avril 1950)

Il faut préciser que l’amendement de la loi Grammont fut voté en mai 1950, et permit de perpétuer la tauromachie espagnole dans les villes de tradition…

«Qu’est-ce que Camus aurait pu dire des affaires du monde» titra Jean-Paul Sartre après le tragique accident du 4 janvier 1960 à Villeblenin près de Sens, qui emporte Albert et quelques jours plus tard Michel Gallimard.

Des preuves de courage, contre les doctrines figées, déniant les systèmes qui veulent faire taire les différences : un engagement pour la démocratie. Une réponse à ceux qui ont sali sa mémoire, sur certains sites anti-aurins, sur le seul critère du film pré-cité en faisant de plus abstraction de son héritage philosophique et littéraire.

Le philosophe et écrivain Michel Onfray, auteur en 2012 de «L’ordre libertaire, la vie philosophique d’Albert Camus» (5) refusera cette même année d’être commissaire pour l’exposition Camus à Aix en Provence. Il est le signataire dans ce même temps : «Le cerveau reptilien de l’aficionado» (6).

Albert Camus a partagé avec Ernest Hemingway le couronnement d’un prix Nobel de Littérature et peut être le plaisir tout simple d’être «Aficionado a los Toros»

Une preuve de courage ? Oui !

Texte de Jacques Lanfranchi «El Kallista»

  1. mouna : brioche en forme de couronne, importée par les espagnols, spécialité d’Oran, confectionnée pour les fêtes de Pâques.
  2. IN toros n° 1927.1928 Bartolomé Bennassar
  3. « Une tragédie du bonheur » film documentaire Jean Daniel et Joël Calmette (youtube)
  4. Remerciements à Serge Milhé et Jacques Dalquier pour l’autorisation d’exploiter certains documents.
  5. L’ordre libertaire Michel Onfray Flammarion 2012
  6. La chronique mensuelle de Michel Onfray Université de Caen 2012