Biographie abrégée de Manolete (4).

 

Quatrième partie de la biographie abrégée de Manolete.

La mort de Manolete.

Note du correcteur : différentes versions de la mort de Manolete ont été publiées avec des différences quant au détails relatifs à la blessure, aux moyens utilisés pour soigner Manolete et aux causes de sa mort. Pour vous faire une idée précise, je vous conseille de lire l’excellente étude réalisée par Marc Roumengou « Le dossier Manolete ». La version proposée ci-dessous est proposée avec les réserves historiques d’usage.

Paco

Une fois arrivé à la petite pièce servant d’infirmerie, le corps du maestro est allongé sur une sorte de table servant aux soins d’urgence. Trois médecins sont sur place, les docteurs Fernando Garrido de Linares, Corzo et Carbonell Venus de Jaén. Le local est plein à craquer et il est nécessaire de faire rapidement de la place pour le corps médical. En urgence, il faut effectuer un camplage pour arrêter l’hémorragie. Manolete souffre et se plaint de vives douleurs, il demande à boire.

Pendant que Luis-Miguel s’expose face au sixième et dernier toro de l’après midi, à l’entrée de l’infirmerie se présente un peon qui exibe les deux oreilles et la queue de “Islero’’. Peu concerné par ce détail, le docteur Garrigo donne un pronostic sur la blessure du maestro allongé devant lui : en résumé « deux trajectoires de 25 et 20 cm, l’une dans l’angle inférieur du triangle de scarpa, l’autre vers le bas, forte anémie provoquée par l’hémorragie et fort choc traumatique. Pronostic très grave».

« Du sang, vite, du sang…! » , demande le médecin pour transfuser le blessé. Tout le monde tend le bras pour la prise de sang. Le docteur choisira un militaire, un certain Juan Sánchez Calle, du fait qu’il est donneur universel. Il n’y a pas de temps à perdre. Manolete est endormi à l’éther. L’opération chirurgicale va durer environ quarante-cinq minutes.

A son demi réveil, le Niño se plaint de douleurs aiguës, malgré l’anesthésie, et réclame à nouveau à boire en grelottant. Du fait de la catégorie de la plaza (2ème), l’infirmerie n’est pas équipée comme il faudrait et donc le médecin travaille au plus pressé avec pas grand chose.

En attendant des couvertures, plusieurs capotes de paseo ont été déposés sur le blessé, et au dehors, un véhicule de la Cruz Roja attend le signal du départ immédiat vers l’hôpital de Córdoba déjà avisé du dramatique accident.

Gitanillo, ami du cordouan, est là, et tant bien que mal ce dernier essaye de rassurer le malade. Manolete laisse apparaître un très léger sourire en remerciement. Alvaro Domecq est là lui aussi. Luis-Miguel vient à peine d’arriver. Le docteur Garrigo souhaite effectuer une nouvelle transfusion. Luis-Miguel se porte volontaire, ce que ne souhaite pas son entourage du fait qu’il torée le lendemain (ici même devant les toros des Samuel Frères). Luis insiste : « Mi hermano me sustituirá » (Mon frère me remplacera). Le médecin s’oppose à la transfusion, rappelant au maestro qu’il avait été atteint du paludisme dans sa jeunesse. Une discussion s’engage pour essayer de trouver la meilleure des solutions. Luis-Miguel Dominguín propose son médecin personnel, le docteur Tamames, le journaliste K-Hito veut faire venir un chirurgien de Madrid, Gitanillo de Triana se propose d’aller chercher du renfort médical, Camarà est dans tous ses états, tout comme Alvaro Domecq, l’ami de toujours, qui continue de rassurer le cordouan. En somme, tout le monde est en alerte. La mauvaise nouvelle commence à se répandre dans la ville, puis bien au-delà. Bientôt, l’Espagne entière va apprendre l’événement.

Manuel demande si sa mère est au courant du drame. En ce moment critique, sa pensée se tourne vers celle qu’il chérit le plus. « Non, pas encore ! » , lui répond une voix. « Va » dit-il à son valet d’épée, rajoutant en murmurant : « Como va a preocuparse, la pobre » (Comme elle va s’inquiéter, la pauvre). Guillermo, le valet d’épée, est bien ennuyé pour donner le message à Angustias, la mère, même téléphoniquement. Cette dernière se trouve à San-Sebastian avec trois de ses petites filles et l’une de ses cinq filles, Teresa. C’est Encarna, l’une des petites filles, qui décrochera le téléphone, dit-on.

Guillermo lui dit : “dis à ta grand-mère que Manolo a été seulement blessé, mais qu’il a obtenu les oreilles et la queue. Et surtout qu’elle ne prête pas attention aux rumeurs. Ce n’est pas si grave que tout le monde veut bien le dire”. Et il termine : “ il est possible qu’on le rapatrie sur Madrid, mais surtout n’effraie pas Angustias”.

Manolo est intransportable, où que ce soit, d’après les dires du médecin, à peine à l’hôpital des Marquis assez proche des arènes de Linares. On approche une civière descendue à la hâte du camion de la Croix Rouge, et à dos d’homme, on va lui faire traverser une dernière fois la piste. Sans même regarder le véhicule mis à disposition, le cortège se dirige à toute vitesse vers l’hôpital. Manolete gémira tout le long du chemin frayé à travers la foule qui stationne et s’amuse autour des arènes. Si court soit-il, le parcours est un vrai chemin de croix, car chaque mouvement devient pour Manuel une atroce souffrance. Arrivé à l’hôpital, on lui attribue la chambre numéro 18, pièce tout à fait élémentaire et sobre, de couleur blanche. La situation devient de plus en plus inquiétante, si bien que le rejoneador Alvaro Domecq demande l’extrême onction par l’aumonier de l’hôpital, Antonio de la Torre. L’apoderado de Manolo, le Sr Camará téléphone à Pablo Martínez Elizondo dit « Chopera », son ami empresa, qui se trouve au Pays Basque, lui indiquant qu’il serait temps de faire venir la mère de Manolete. Il est dit que la fiancée du maestro, Lupe Sino, sera prévenue seulement par l’épouse d’un torero, car en effet, personne n’avait pensé à elle dans ces instants dramatiques.

Lorsque Chopera se présente Villa Irún à San-Sebastian, Angustias est paniquée par la vue soudaine de Pablo et se doute du pire. Ce dernier la rassure, lui indiquant qu’il se rendait justement à Linares et que son fils souhaiterait l’avoir un moment à ses côtés. “Cela lui fera énormément plaisir”, lui dit-il.

Angustias savait très bien que ce n’était pas dans les habitudes de son fils d’avoir sa mère auprès de lui lors des corridas, quel que fut le lieu de la course. Manolete venait souvent la voir, mais toujours entre deux paseos, et chaque fois qu’il en avait le temps, mais jamais de différente façon. Un certaine crainte du pire fit qu’elle se décida à partir en voiture avec Don Pablo et sa petite fille Encarna. Il était alors aux environs de minuit.

De nouvelles transfusions seront effectuées, trois est-il précisé sur certains documents… Dans la nuit, vers quatre heures, voici qu’arrive de Madrid le docteur Luis Jiménez Guinea. Le chirurgien entre dans la chambre, se penche sur le malade, découvre la blessure et la recouvre presque aussitôt.

– “No me examina ? ”, lui dit Manolete doucement.

– “Non, plus tard, tout est en ordre”, lui indique maladroitement le médecin.

Mais ce qui le préoccupe bien plus est l’état général du blessé, les réflexes vitaux étant à cet instant des plus critiques. Le Monstruo déjà bien affaibli doit abdiquer pour une fois. On parle aussi dans les couloirs d’amputation de la jambe droite, mais à quoi bon, vu l’état général du patient. Entre temps, on lui avait découvert une exsudation de sang à travers les parois vasculaires.

Lupe Sino, qui se trouvait à Lanjarón, à quarante-sept kilomètres au sud de Granada, prend une voiture, et à toute vitesse va filer au nord vers Linares, sur 181 kilomètres, mais l’on dit qu’elle ne pourra le visiter, pour bien des raisons.

A la clinique, encore quelques échanges de paroles, entre les quelques personnes présentes et le Niño. Celui-ci demande :

–  « Pepe, lo maté bien ? » (Pepe, je l’ai bien tué ?). Ce dernier lui répond, les yeux pleins de larmes : « Si Maestro, y de manera magistral ! » (Oui, Maestro, et de façon magistrale ).

–   « Ni siquiera se me concedió la oreja ? » (On ne m’a même pas accordé l’oreille ?), rajoute Manolo.

–  « Por supuesto que si, Maestro, las dos orejas y la cola ! ». (Bien sûr que si, Maestro, les deux oreilles et la queue! ), lui indique fièrement Pepe.

Manolo réclame à une religieuse les images pieuses enfermées dans une petite valise de couleur noire posée à côté du lit sur la table de chevet. Puis il s’adresse au chirurgien.

–  « Don Luis, je ne sens plus ma jambe blessée, l’autre non plus d’ailleurs… « .

Le médecin, accompagné de l’aumonier, ne peut que le réconforter.

–  « Don Luis, je ne vous vois plus…! ».

–  « Ferme les yeux », lui répond doucement le médecin, en lui caressant la main.

Manolete paraît alors ne plus souffrir. Le pouls s’en va définitivement, à l’instant même où le chirurgien le tâte encore une fois. La tête de Manolo s’incline légèrement sur la droite, et son visage redevient serein. La mort a eu raison du Grand Maestro que fut Manolete. Nous sommes le 29 août 1947, il est cinq heures et sept minutes du matin.

Tout le monde pleure à chaudes larmes. La chambre n’est que murmures, puis dans un silence glacial, l’âme du Maestro semble s’échapper de ce corps devenu désormais inerte. Manolo est mort, Manolo n’est plus. Il est parti à tout jamais… Comme une longue plainte, cette phrase traverse les couloirs de l’hôpital, puis la cour, les rues de Linares, puis celles des villes de l’Espagne toute entière. Le Monde entier sait …

(A suivre)

Biographie rédigée par Henry Sabatier. Correction, mise en page et illustration : Paco.