Rencontre avec Jean-Luc Couturier, ganadero de Valverde et Concha y Sierra.

PAC_3109Nous avons rencontré le ganadero Jean-Luc Couturier le 23 avril 2015 par une belle après-midi de printemps dans sa finca de Coste Haute près de Saint Martin de Crau.

TB : comment passe-t-on du statut d’industriel de la boulangerie à celui de ganadero ?

JLC : Ayant pris ma retraite et ne sachant pas jouer aux boules, ni aux cartes, après avoir eu une activité importante dans l’industrie, à ne rien faire je me suis vu les deux pieds dans la tombe. Partant de là, je me suis dit qu’est-ce que je peux faire comme activité qui m’intéresse ? Comme je suis aficionado a los toros, j’ai pensé « pourquoi ne pas devenir un ganadero à part entière ? Et là j’ai pris la voiture, on est parti à Salamanca. Il n’y avait pas de panneau à vendre chez Valverde alors j’ai présenté mon projet, et au bout de trois négociations tendues et difficiles, on est arrivé à s’entendre pour que je puisse faire l’acquisition du fer et de l’élevage du Curé de Valverde.

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Entrainement des toros sur le taurodrome

TB : avez-vous acheté la totalité du bétail ou en avez-vous laissé qui est parti au matadero ?

JLC : j’ai tout repris. La problématique de Valverde, tout le monde la connaît. Il faut retrouver une bonne partie de la caste, ce que nous avons fait en arrivant chez nous où nous avons retienté tout le bétail et on a éliminé à peu près 40 % de l’élevage.

TB : dans l’ensemble du bétail, restait-il aussi des toros ?

JLC : oui, puisque nous avons acquis la totalité. Il restait aussi deux sementales mais malheureusement huit mois après ils se sont tués.

PAC_3107TB : avez-vous d’abord acheté les toros ou la finca ?

JLC : d’abord les toros car l’occasion s’est d’abord présentée de racheter l’élevage. Quand le train passe, il ne faut pas le rater. J’ai acheté l’élevage, puis je me suis mis en quête d’une finca. Des propriétés, il y en a pas mal à vendre sur le marché, et donc quelques temps après j’ai pu acheter une propriété adaptée à mon activité. Entretemps j’ai conservé le bétail en France, notamment les vaches car on a une propriété de 100 hectares à Raphèle les Angles où on a clôturé 10 hectares pour mettre les vaches.

TB : les vaches sont donc arrivées d’abord et le reste du troupeau par la suite.

JLC : tout à fait. Elles sont arrivées en 2012. L’acquisition de la propriété s’est faite en septembre 2012 et le bétail y a été transféré fin novembre.

PAC_3105TB : en moins de trois mois vous avez aménagé la finca ?

JLC : oui, on a mis les moyens pour faire les clôtures primaires (plus de 20 km) et après on a fait le transfert.

TB : donc, ça c’est pour les Valverde. Ensuite sont venus  peu de temps après les Concha y Sierra ?

JLC : oui. L’acquisition s’est faite fin 2012 de manière tout à fait inattendue. On était parti pour acheter neuf ou dix toros d’encaste Conde de la Corte (pour remplacer les sementales), on en a vu mais ils étaient de plus en plus laids. Ils ne correspondaient pas du tout à ce qu’on cherchait. Donc on n’a rien acheté et on est passé chez Concha y Sierra, et au lieu de revenir avec des toros, on est revenu avec la ganaderia (fer et bétail) de Concha y Sierra, environ 200 bêtes. Par contre, là le bétail était tienté, tout était propre, il n’y a pas eu de travail de fond à faire comme on a fait chez Valverde. On a gardé quasiment tout, contrairement à Valverde où on a cassé 40 % des femelles. Pour Concha y Sierra, on continue simplement le travail de fond et la sélection mise en place.

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Vaches et veaux des deux origines

TB : à l’heure actuelle, combien avez-vous de bêtes sous chaque fer ?

JLC : environ 360 têtes en tout réparties à peu près à égalité entre les deux fers.

TB : comment avez-vous fait pour trouver des sementales pour les Valverde, puisque vous êtes revenu avec les Concha y Sierra, mais sans les toros d’encaste Conde de La Corte que vous étiez partis chercher ?

JLC : je suis reparti ensuite en Espagne et certains ganaderos m’ont présenté d’autres produits. Comme je recherchais du pur La Corte, ils m’ont sorti ce que je cherchais, avec les têtes et la morphologie que je souhaitais, et là j’ai pu faire l’acquisition de neuf toros.

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Vache typique La Corte

TB : directement chez le Conde de la Corte ?

JLC : non, chez des éleveurs qui ont des rames La Corte.

TB : et les vaches de La Corte que vous avez ?

JLC : les 30 vaches de La Corte ont été achetées après, du fer de La Corte et de celui de son épouse Maria Olea. Elles étaient pleines, elles ont vêlé et donc nous avons neuf toros de La Corte que nous pourrons tienter l’année prochaine.

TB : les vaches de La Corte ont été achetées en quelle année ?

JLC : 2013

TB : donc chez Valverde, on reste sur le même sang.

JLC : tout à fait. On retrouve les mêmes reatas (lignées), les mêmes noms, les mêmes morphologies.

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Vue sur les Alpilles. Au milieu derrière les arbres la ganaderia François André.

TB : vous avez donc ici 220 hectares dont une partie en culture pour le bétail. Avez-vous assez de surface ou comptez-vous agrandir la propriété ?

JLC : la surface que j’ai me convient bien et il n’est pas question pour le moment de s’agrandir. Sur la région nous avons 100 hectares tout près à Raphèle et on a acheté 110 hectares vers Mas Thibert (le Mas de la Tapie de Bouchet) où on fait de l’élevage de limousine. On y fait aussi du foin.

TB : Est-ce que vous comptez y mettre aussi du bétail brave ?

JLC : je vous invite à aller voir les clôtures. Ce n’est pas des clôtures pour limousines.

Pelage typique chez Concha y Sierra
Pelage typique chez Concha y Sierra

TB : compris ! Au niveau des vaches de ventre, vous avez à peu près 80 reproductrices dans chaque fer. Comptez-vous en rester à ce nombre ?

JLC : pour le moment, nous sommes en phase de sélection, nous faisons un travail de fond sur l’élevage, donc on reste sur cette quantité.

TB : ce nombre vous permettra de sortir combien de corridas ou de novilladas par an ?

JLC : l’objectif d’ici trois ou quatre ans est de sortir quatre corridas par an, deux de chaque fer, deux en France et deux en Espagne.

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Toros de droite et de gauche pour Alès

TB : et aussi des novilladas ?

JLC : si ça se présente peut être mais ça n’est pas l’objectif.

TB : le but, c’est vraiment la corrida ?

JLC : oui, bien sûr. D’ailleurs vous le voyez, maintenant on sort en corrida.

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Toros pour Alès

TB : tous les grands élevages sortent dans les deux catégories.

JLC : on verra ça en terme de présentation. Si des bêtes ne peuvent pas aller en corrida, elles iront en novillada. C’est déjà ce qu’on fait avec les erales. Ceux qui n’ont pas la présentation voulue, on en fait profiter les écoles taurines.

TB : quelles sont les perpectives d’avenir de la ganaderia ?

JLC : on doit penser ce qu’on veut faire, l’écrire et le réaliser. Quand on aura réalisé cela, on verra, car sortir quatre corridas par an, c’est déjà un gros challenge.

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Toros pour Alès

TB : est-ce que vous avez des objectifs en termes d’arènes ?

JLC : non, je pense que nous avons deux élevages mythiques sur le marché, deux élevages toristas. On dira ce qu’on voudra mais je pense que la tauromachie a besoin de retrouver du vrai combat, du vrai bétail, et les vedettes seront incontestablement obligées de se tourner vers ce type de toro si elles veulent rester, sinon elles disparaîtront et la corrida disparaîtra avec elles. Cela me laisse penser que nous serons deux fers incontournables auprès des grandes plazas. Les éleveurs qui s’orientent vers ce type de bétail, c’est l’avenir parce que les gens sont saturés par la vision du mono-encaste. Tout le monde s’endort sur les gradins, et si ça continue, ils iront voir une pièce de théâtre plutôt qu’une corrida.

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L’avenir de la ganaderia

TB : merci de nous avoir reçus et de nous avoir consacré une grande partie de votre temps. On suivra votre travail avec beaucoup d’intérêt. Et comme on dit souvent, le mot de la fin sera « Suerte ! « .

Entretien réalisé par Paco le 23 avril 2015 à la finca Coste Haute.

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Toro de Valverde lidié à Saint Martin de Crau

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Historique de la ganaderia de Valverde.

En 1941, Juan Sanchez Rodriguez de Valverde achète à Vicente Charro du bétail d’origine Gamero Civico via Lorenzo Rodriguez. Première novillada à Barcelone en 1944, puis présentation toujours en novillada à Madrid en 1947.

En 1948, le ganadero ajoute à son troupeau 80 vaches et deux étalons d’origine Conde de la Corte. Cinq ans plus tard, Juan Sanchez décède et l’élevage est partagé entre ses neuf enfants, l’aîné Cesareo Sanchez Martin (le curé de Valverde) héritant de la majeure partie du bétail d’origine La Corte.

Il gérera l’élevage jusqu’à son décès en 1994, une ganaderia à l’image de l’homme, sérieuse et redoutée. La ganaderia tombe alors entre les mains de ses neveux Leopoldo et Juan Mateos Sanchez. Elle ira progressivement vers l’abandon, tant au niveau de la sélection que de l’entretien du bétail jusqu’à ce qu’en 2012 Jean-Luc Couturier la sorte de l’oubli pour tenter de lui redonner ses lettres de noblesse.

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Tableau : Thomas Thuriès (http://www.terredetoros.com/)

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Toro de Concha y Sierra lidié à Saint Martin de Crau

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Historique de la ganaderia de Concha y Sierra.

Aux portes de la Camargue, la finca de Coste-Haute accueille sur plus de deux-cents hectares deux élevages qui ont connu leurs heures de gloire : Curé de Valverde (origine Conde de La Corte) et Concha y Sierra (origine Vasqueña).

L’antique ganaderia de Concha y Sierra fut fondée en 1871 près de Séville par Fernando de la Concha y Sierra. Elle fit sa présentation à Madrid le 10 avril 1882 et connut une grande renommée, les grandes figuras de l’époque connaissant de grands triomphes devant les toros de la devise.

En 1887 à la mort du ganadero, l’élevage est repris par sa veuve Celsa Fontfrede et ses fils et les toros sont connus désormais sous le nom de « los de la Viuda », laquelle se remariera avec le matador « El Espartero » qui périra en 1894 sous la corne de « Perdigon » de Miura. A la mort de Celsa Fontfrede en 1929, l’élevage passe aux mains de sa fille Conception et gardera tout son prestige avant de revenir entre les mains de ses cousins à son décès en 1965.

Commencent alors de multiples changements de propriétaires. Vendus en 1968 à José Luis Martín Berrrocal, les toros migrent vers Huelva, puis sont vendus deux ans plus tard à une société américaine « King Ranch España SA », puis revendus en 1979 en deux lots, l’un à l’entrepreneur de spectacles taurins Martinez Urianga, l’autre avec le fer et la devise au matador Miguel Báez Espuny « Litri » qui souhaite lui redonner le lustre d’antan. Mais il jettera l’éponge en 1994 et vendra la ganaderia à María Luisa S.A. Explotaciones Agropecuarias, représentée par José Luis García Palacios. Les frères García Palacios poursuivirent la sélection pour retrouver l’essence de la caste Vazquez, un travail rigoureux qui porta ses fruits, avant de céder Concha y Sierra à Jean-Luc Couturier fin 2012.

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