Avant de prendre le départ pour Madrid où il va officier comme sobresaliente d’Ivan Fandiño, Jérémy Banti s’est entraîné jeudi soir chez Olivier Riboulet où il a combattu a puerta cerrada un novillo et un toro de la Ganaderia du Scamandre.
L’occasion d’un petiot entretien pour connaître le ressenti du torero avant ce rendez-vous important.
Torobravo : Jérémy, tes impressions avant de t’envoler pour Madrid.
JB : Beaucoup d’envie, et de pression aussi par rapport au compromis que c’est, surtout quand on sait avec quel mental vient Ivan Fandiño. Beaucoup de pression, oui !
Torobravo : quand on a peu toréé, comment arriver prêt pour un rendez-vous comme celui-là ?
JB : Il faut essayer de toréer un maximum au campo, comme on l’a fait aujourd’hui, et après c’est dans la tête surtout. Il faut se préparer mentalement, et essayer de profiter de son expérience, de son âge et des choses de la vie pour relativiser et pour ne pas avoir la mauvaise pression.
Torobravo : du toreo de salon, de la préparation physique ?
JB : aussi, oui, mais pas trop. Il ne faut pas se tuer non plus, et arriver le jour J en forme.
Torobravo : tu es le second sobresaliente. Comment ça va se passer en cas de blessure de Fandiño, ce qu’on ne souhaite pas bien sûr ?
JB : très franchement j’ai posé la question il y a peu de temps à l’empresa, et ils ne savaient pas encore. Je pense qu’on le saura le jour J au paseo. On verra alors si « Saleri » continue en solo ou si on fait un mano a mano.
Torobravo : il n’y a pas de règle déterminée à l’avance ?
JB : des fois oui. Quand j’y suis allé il y a deux ans pour Talavante, il était prévu que Solis terminerait en solitaire, tandis que là, pour l’instant, je n’en sais pas plus. Très franchement, c’est la dernière chose à laquelle je pense. Je me prépare pour y aller, après on verra.
Torobravo : tu as peu toréé depuis ton alternative en 2007. Est-ce que tu sais combien de corridas tu as toréé depuis ce jour ?
JB : Si je ne me trompe pas, je crois que j’en ai toréé une douzaine : trois l’année de mon alternative, trois l’année suivante, cinq la troisième année et la dernière en 2010.
Torobravo : et combien de paseos en tant que sobresaliente ?
JB : J’ai fait dix-neuf paseos, douze la première année, sept l’année dernière et cette année je commence dimanche.
Torobravo : comment vit-on au quotidien quand on ne torée pas et donc qu’on ne vit du métier de torero ?
JB : on travaille. On essaie de trouver des boulots avec des patrons sympathiques et de préférence aficionado, et s’ils ne sont pas aficionados, qu’ils aient un peu l’état d’esprit pour nous laisser vivre notre passion et travailler le reste du temps. Les journées, c’est s’entrainer le matin avant le travail, aller travailler et s’entrainer encore après. On essaie de s’organiser.
Torobravo : revenons à ton rôle de sobresaliente. Est-ce qu’il n’est pas un peu frustrant de regarder toréer les autres ?
JB : bien sûr, c’est très frustrant. Mais si on fait ça, c’est que malheureusement on n’a pas d’autre choix. J’aimerais toréer quelque corridas, mais ce n’est pas encore entré dans la mentalité des gens de voir un torero sobresaliente toréer quelques corridas dans l’année et prouver ce qu’il vaut. Le public y gagnerait parce que le jour où il faudrait se trouver devant le toro (NdR : en cas de blessure du titulaire), on serait mieux préparé.
Torobravo : qu’attend-on d’un sobresaliente ?
JB : Le torero attend du sobresaliente qu’il soit discret. On n’est pas là pour être les vedettes de la corrida, il faut qu’on soit dans l’ombre. Etre là au cas où, mais sans fioritures. Ce n’est pas notre rôle, ce n’est pas nous qui sommes à l’affiche. C’est aux autres de briller. Mais on veille quand même sur le Maestro, sur les membres de sa cuadrilla. On est là pour couper le toro aux banderilles, on est là pour le picador. On se met au service du torero, comme dimanche pour Fandiño, ou des deux toreros si c’est un mano a mano.
Torobravo : et par rapport au public ?
JB : Le public, depuis quelque temps, aime demander un quite pour le sobresaliente. Pour donner un exemple, faire un quite pour un sobresaliente, c’est comme si en finale de coupe du monde de rugby, on fait entrer un remplaçant sans échauffement pour taper une pénalité et ne pas la rater. C’est compliqué. Bien sûr on aime toréer, alors on y va, mais c’est très très dur.
Torobravo : depuis longtemps c’est Morenito de Nîmes qui endossait le costume de sobresaliente. Est-ce que tu vas prendre sa place en attendant qu’on te propose un contrat ?
JB : Oui, c’est la troisième saison que je fais le sobresaliente. Lionel (NdR : Morenito de Nîmes) annonce qu’il se retire à la fin de cette saison. Ça sera comme un passage de flambeau. Il a fait ses années de sobresaliente, moi je suis plus jeune que lui, alors oui je le remplacerai, d’autant que je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de toreros français qui veuillent le faire. C’est une façon pour moi de rester au contact de ce que j’aime. J’ai essayé de m’en écarter un peu, mais c’est très dur, et quand on a ça en soi, on veut vivre là-dedans et être au contact des toros.
Torobravo : le rôle de sobresaliente à Madrid, tu l’as tenu avec Talavante. Qui choisit le sobresaliente, qui choisit tel ou tel torero ?
JB : La plupart du temps c’est l’empresa qui choisit mais quelquefois c’est le torero qui demande la faveur du choix. Pour dimanche, c’est l’empresa qui a choisi. Pour ne fâcher personne, Fandiño a donné le choix à l’empresa. C’est elle qui m’a contacté. De mon côté, je les avais prévenu que j’étais intéressé, et comme ils me connaissent, ça s’est fait comme ça.
Torobravo : est-ce que tu es épaulé par un apoderado ?
JB : Je n’ai pas d’apoderado. C’est moi qui appelle les organisateurs.
Torobravo : pour finir, quelle vision as-tu de ton avenir ?
JB : cette année j’ai le festival de Béziers le 2 mai où je vais pouvoir toréer un toro entier, et ensuite, je dirais malheureusement, la saison de sobresaliente. Bien sûr, il y a pas mal de professionnels qui me disent que je mériterais une opportunité, mais ce sont les professionnels de l’arène et pas les professionnels de l’organisation. C’est un peu dommage, mais on est là, on lutte pour ça.
Torobravo : on peut encore espérer te voir durant quelques années, et peut-être décrocher un poste ?
JB : j’espère.
Torobravo : alors le mot de la fin sera tout simplement « Suerte ! ».
Propos recueillis par Paco le 26 mars 2015 à la ganaderia du Scamandre.