La saga des Bienvenida (6).

Le déclin du grand torero.

Malheureusement, Antonio ne termina pas très fort la décennie, perdant beaucoup de contrats faute d’estime du public et surtout des empresas qui l’évitèrent.

1950 pourrait être sa pire saison puisqu’il n’obtint que 10 contrats. 1951 et 1952 ne furent guère brillantes avec seulement 19 prestations dont très peu en plazzas de première.

Antonio, dépité et contrarié, ne reconnaissait plus son public. Ces années 50 éprouvèrent beaucoup le moral du torero.

Antonio avait grand désir et nécessité de faire parler de lui, et il le fit, dans et hors du ruedo, en se lançant dans la lutte contre l’afeitado. Le 12 octobre 1952 à Madrid, avec Juan Silveti et Manolo Carmona, Antonio était opposé aux coriaces toros du Conde de la Corte. Il sortit a hombros de Las Ventas et profita de ce triomphe dans la capitale pour obliger certains journaux à promotionner la lutte contre l’afeitado en attaquant indirectement le Ministère de l’Intérieur qui ne s’intéressait que bien peu au problème. Cette affaire mit les autorités gouvernementales en difficulté, et le Ministère concerné se déchargea en reprochant à Antonio de se donner à une action non fondée qui aurait pour effet de satisfaire des desseins personnels non avoués.

Le milieu taurin, et surtout les ganaderos, s’emparèrent de l’affaire pour faire valoir qu’Antonio avait surtout le dessein de promotionner sa carrière de torero. Il fut même obligé de démissionner de son rôle de président du Montepio.

Au cours des temporadas 54 et 55, Antonio s’enferma seul dans les arènes de Las Ventas face à des Gracilianos, puis des Galaches , rehaussant un peu sa côte devenue très basse, suite aux événements précédents.

Le 17 mai 1958, à Madrid, un toro de Cobaleda lui infligea une cornada qui perturba une fois de plus le déroulement de sa carrière.

En 1966, Antonio décida de quitter l’arène. Ainsi, le 16 octobre à Madrid, il donna sa despedida seul devant six toros de divers élevages. Ce n’était pas la première fois qu’Antonio s’enfermait seul devant six toros. Il l’avait fait en 47, 54 et 55 à Madrid, en 64 à Carabanchel, en 66 à Puerta Cerrada. Le 16 juin 1960 à Madrid, il souhaita même estoquer douze toros, mais victime de crampes, il dut abandonnera au neuvième bicho. Les trois derniers toros furent estoqués par le sobresaliente, Antonio Mahillo, qui restera à peu près inconnu dans les annales de la tauromachie.

A San Sebastian de los Reyes le 5 septembre 1964, face à un toro de Hermanos Cembrano, il effectua une faena si merveilleuse que son père, El Papa Negro, s’exclama : « Désormais, je peux m’en aller tranquille vers l’au-delà », ce qu’il fit un mois après, coïncidence ou prémonition… ?

Après cette première despedida de 1966, Antonio réapparut en 1971 lors d’un festival à Madrid, aux côtés de Luis-Miguel Dominguin.

Le 18 mai 1971, il revint toujours à Madrid devant des Samuel Flores, confirmant l’alternative de Curro Rivera (1952/2001), Andrés Vázquez (1932/vivant en 2010) servant de témoin. En cette année 1971, lors de la San Isidro à Madrid, Antonio coupa quatre oreilles lors d’une corrida-concours.

Cette seconde carrière s’acheva avec 81 courses dont 2 au Venezuela. Le 5 octobre 1974 à Carabanchel, il prit à nouveau congé de son public en compagnie de Curro Romero et de Rafael de Paula, toros étaient de Juan-Mari Pérez-Tabernero. Cette année 1974 fut aussi celle de la mort de sa mère.

Portrait de Don Antonio.

Antonio était quelqu’un d’assez réservé, fuyant l’affection au demeurant, mais très cultivé, gentil et courtois, donc très apprécié par tout le mundillo.

Antonio était une Figura et Luis de la Cruz dit de lui : « Un torero de race, un torero des pieds à la tête ». – Il connut de sérieuses difficultés dans les ruedos, échecs, abandons, renoncements. Son je ‘’m’enfoutisme’’, sa mauvaise volonté parfois et une certaine nonchalance contrarièrent sa carrière. Mais quand il était bien présent, son travail reflétait la « difficile-facilité » dont parlent tous les chroniqueurs.

De la prestance, une aisance toute naturelle, de la finesseet énormément de style.

Un torero qui connaissait bien les trois tercios et pratiquait volontiers le poder à poder aux banderilles. Très souple de poignet, il excellait dans l’estocade a recibir.

C’était un vrai chef de Lidia quand il le souhaitait, bien entendu, et savait très volontiers rassurer ses compagnons de cartel, lorsque ces derniers perdaient les papiers, comme l’on dit souvent dans le jargon taurin.

Antonio était un homme généreux. Ainsi par huit fois toréa-t-il au bénéfice du Montepio dont il fut un temps le Président.

Le 5 novembre 1948, il épousa Maria Luisa Guttiérez Balbi, de père espagnol, et de mère Argentine qui lui donna cinq enfants.

Bon nombre de personnes regrettent qu’à vingt ans, paraissant promis à une brillante carrière, il ne se soit investi que trois à quatre fois l’an.

Ses graves blessures, une certaine prudence, et une nonchalance avérée, firent qu’il ne fut jamais leader de l’escalafón (comme son frère Manolo, fin 1935, avec 64 prestations).

Beaucoup d’aficiónados diront : « Antonio était à la fois castillan dans la sobriété, et andalou dans la couleur ».

La mort du grand Don Antonio.

Le 7 octobre 1975, à Madrid à l’hôpital de la Paz, Antonio mourut des suites d’une cogida subie trois jours auparavant lors d’une tienta au cours de laquelle une vache de Mercedes Pérez-Tabernero le surprit par derrière et lui infligea une voltereta. Antonio en retombant se fractura les cervicales.

Anecdote : Sur une parcelle de cette finca existait en 1936 une sorte d’endroit servant de terrain d’atterrissage au futur Général Francisco Franco et c’est sur ces terres qu’il sera nommé Caudillo.

Sa dépouille fut transportée au 3 de l’Avenue du Général Mola à Madrid où il résidait et s’habillait les jours de corridas dans la capitale. Le jour des obsèques, les premiers à porter le cercueil furent Manolo Vázquez et Antonio Ordóñez. Le trajet s’effectua à pied sur près d’un kilomètre, distance séparant le domicile du défunt des arènes de Las Ventas où le cercueil d’acajou recouvert d’une cape de paseo effectua une vuelta al ruedo avant de ressortir par la Puerta Grande devant plus de 2.000 personnes qui assistèrent au cérémonial dans un silence religieux. Aujourd’hui, devant la Puerta Grande de Las Ventas s’élève un monument érigé à la gloire d’Antonio Bienvenida, porté en triomphe par six personnes.

Antonio, qui connut au total seize cornadas gravissimes, disait : « Le toro est un ami, mais parfois on ne le comprend pas, alors il se rebelle ».

Le temps des souvenirs.

 Antonio, qui aimait tout particulièrement la France. En 1948, il y toréa six fois. « En France, on sait voir le toro et on sait reconnaître ce qui est capital dans le labeur du torero ». A Saint Vincent de Tyrosse, il effectua l’une des faenas majeures de sa carrière.

Dans toute sa carrière, Antonio a estoqué plus de 1.600 toros dit-on, pour quelques 780 corridas, et plus de dix courses seul devant six adversaires, un exploit en quelque sorte !

Son palmarès à Madrid est remarquable, puisqu’il y est apparu plus de cent fois. Il fut aussi le parrain de vingt cinq alternatives et d’au moins vingt confirmations de doctorats à Madrid.

Nous resterons sur l’une des nombreuses phrases données par Néstor Luján, sur ce maestro : « Avec cette mentalité de torero à l’ancienne, Antonio Bienvenida réalisait uniquement de temps à autre ces faenas exceptionnelles ».

Et Cossio de rajouter : « L‘on ne peut donner la mesure du courage et de la transcendance d’un torero en regardant les statistiques des jours chanceux ou pitoyables « .

Un seul nom, le seul, le sacrifié mais le vrai, restera pourtant trop souvent dans l’ombre, comme presque insignifiant, quasiment ignoré, comme oublié : MEJIAS. Celui que portait toute cette famille des BIENVENIDA.

Biographie de la famille Bienvenida d’après SANTEN-CIRES (Barcelona).

par Henry Sabatier. Novembre 2010.

Correction, mise en page et illustration : Paco.