Entretien avec Michel Bouisseren, cheville ouvrière de la feria Toros y Campo de Boujan.
Avant l’annonce officielle des élevages programmés pour Toros y Campo 2019, rencontre avec l’organisateur Michel Bouisseren qui évoque l’histoire de sa feria de novilladas.
Torobravo : Comment et quand s’est créée cette feria « Toros y Campo » ?
Michel Bouisseren : La Feria existe depuis quatre ans. En 2019, ce sera la cinquième édition. Le projet était dans ma tête depuis un moment. Au départ j’avais envisagé de la faire à Pérols mais le maire n’a pas souhaité se servir des arènes locales. Comme j’allais habiter à Béziers, et qu’il n’y as pas cinquante endroits où on peut faire des mises à mort, j’ai pris contact avec le maire de Boujan qui a trouvé le projet sympa.
TB : Y a-t-il un accord mairie-empresa ? Comment se partagent les rôles ?
MB : Il y a une convention reconduite tacitement chaque année.
TB : La mairie est-elle investie financièrement ?
MB : Non, la mairie prête les arènes et ses abords et met à notre disposition les services techniques et les employés municipaux.
TB : Combien étiez-vous au départ ?
MB : On était quatre et chacun intervenait dans son registre de compétences. Depuis l’an dernier on a séparé les arènes et le campo de feria. Chacun gère son budget. Mes partenaires et amis (réunis au sein d’une société) gère le campo de feria, continuent de m’acheter des entrées et s’occupent de la sécurité. Moi je gère la partie taurine avec mes propres deniers depuis 2017 et j’assume profits et pertes dans le cadre d’une association appelée « Aficion Torista Boujan » officiellement chargée de l’organisation.
TB : Pourquoi cette scission entre le campo de feria et les arènes ?
MB : Parce que je souhaitais garder mon indépendance dans le choix des toros en accord avec une ligne taurine torista que je crois être la bonne. Mes associés voulaient aller vers une tauromachie plus festive qui n’était pas en accord avec mes idées, d’où cette scission.
TB : Donc depuis 2017 tu joues avec tes propres finances ?
MB : Oui, totalement. Les deux premières années ont été difficiles, la feria n’était pas connu et ça a mis un peu de temps à se mettre en place. Le campo de feria équilibrait le budget des arènes. La meilleure entrée a été en 2017 lors de la journée consacrée à Dolorés Aguirre et la feria a atteint l’équilibre. Par contre 2018 a été plus compliquée à cause de la coupe du monde de foot et du match France-Argentine programmé quasiment à la même heure que la novillada du samedi et qui nous a enlevé du monde. Et donc le budget des arènes ont été déficitaire.
TB : Le fait d’être déficitaire n’est-il pas un frein pour envisager une suite ?
MB : Si on est raisonnable oui. Mais lorsque par passion on s’est donné un but, on essaie d’aller au bout des choses. Je continue à croire qu’il y a une place pour une feria de novilladas de ce type dans notre région comme il en existe dans le sud-ouest comme Parentis, Hagetmau, Roquefort et d’autres. Je veux vraiment aller au bout de cette idée de présenter des novilladas sérieuses, être un peu le petit Céret de la région.
TB : Côté organisation, est-ce qu’il ne serait pas souhaitable d’avoir des corrales sur place ?
MB : C’est mon souhait le plus important, ce serait l’idéal mais la gestion du budget municipal et les structures à mettre en place ne permettent pas vraiment de l’envisager.
TB : Comment as-tu géré la programmation depuis le départ ?
MB : Au début on est parti un peu dans l’inconnu, mais conformément à la ligne choisie en mettant à l’affiche deux élevages emblématiques dans la catégorie, Partido de Resina et Cebada Gago. Partido de Resina parce que j’aimais beaucoup ce fer qui n’était pas sorti en France depuis longtemps et qui représentait bien l’identité de cette feria, et Cebada Gago qu’on ne présente plus. Le samedi, les premiers sont sortis assez décastés, le dimanche les seconds ont donné un bon jeu. Par contre on aurait peut-être dû programmer les novilleros du samedi (Andrés Roca Rey, Joaquin Galdos et Manolo Vanegas) avec les novillos du dimanche.
La seconde année on a choisi les Curé de Valverde pour le samedi et les Escolar Gil (erales et novillos) pour le dimanche. Les Valverde, très bien présentés, ont plu aussi aux aficionados par leur comportement. Les Escolar ont été plus suaves, ce qui est un peu étonnant chez cet éleveur.
TB : On peut raisonnablement penser que tu n’as pas eu pour les débuts les têtes de camada ?
MB : Oui, c’est ça. Mais maintenant que la feria a pris son envol, il y a des ganaderos comme Fraile ou Saltillo qui m’appellent pour venir lidier à Boujan. Je suis d’ailleurs surpris par la notoriété de cette jeune feria un peu partout en Espagne. J’ai également été contacté par des sites taurins connus comme Toro de Lidia qui souhaitent être tenus informés de la programmation.
TB : On peut aussi évoquer la venue des novillos de Los Maños qui, par leur présentation, ont dû faire du tort à la feria.
MB : Je l’ai payé en terme de fréquentation. Quand on sait que 70% des gens qui viennent sont étranger au secteur, dont beaucoup du Sud-Ouest, on comprend que ça en a refroidi pas mal et je l’ai payé cette année. Dans des petites arènes ça se joue à peu, et cette année il m’a manqué entre 200 et 300 places sur toute la feria pour équilibrer le budget. Il y a 1400 places dans les arènes, et pour équilibrer il faut passer la barre des 1000 entrées.
TB : certains t’ont reproché de mettre des novillos un peu trop gros pour des débutants, surtout en sans picadors comme les Dolorés Aguirre de l’an dernier qui ont été d’ailleurs meilleurs en erales qu’en utreros.
MB : j’ai eu en effet quelques reproches mais pas tant que ça. C’est vrai que les novilladas dans notre, surtout à base de bétail français, ont souvent une présentation « gentille », on dira plus torerista que torista. Ce sont des novilladas plus destinées à mettre en valeur les toreros.
TB : quels sont les critères de choix dans les deux catégories, sans picadors et piquée ?
MB : j’essaie de me montrer plus raisonnable sur la non piquée. Les novilleros sont encore verts et il ne faut pas non plus les dégoûter. Je suis attentif à ce qu’il y ait une belle présentation mais dans le domaine du raisonnable.
TB : la non piquée de Dolorés Aguirre était un peu hors normes.
MB : oui, elle l’était effectivement. Mais je n’ai eu que des compliments venant des aficionados « a los toros ». C’est vrai que j’ai eu quelques critiques venant de milieu taurin mais cette sans picadors a quand même permis à Rafi de triompher.
TB : et de voir un peu de volume, car d’habitude les novilladas sans picadors sont moins imposantes. Depuis le début il y a eu deux journées complètes avec les Escolar et les Aguirre. Vas-tu péréniser cela ?
MB : dans une feria comme celle de Boujan qui prend un peu d’ampleur, la logique veut qu’il y ait au moins un élevage français, au moins en sans picadors. J’ai donc abandonné cette logique de verticale pour intégrer des novillos français dans la feria.
TB : et des novilleros français aussi ?
MB : autant que possible s’ils correspondent aux critères de la feria. Il y a eu deux ternas françaises, une avec Andy Younes, Adrien Salenc et Tibo Garcia devant les Los Maños avec le résultat qu’on connaît, puis une autre avec El Adoureño, Maxime Solera et Carlos Olsina qui ne m’a pas non plus très satisfait. Donc maintenant il n’y aura pas de drapeau accroché à l’engagement. Je veux des novilleros qui correspondent à ce qui va sortir.
TB : parlons justement de ce qui va sortir. Comme les cérétans, tu es un peu en quête de nouveauté et tu t’es tourné vers le Portugal. Pourquoi ce choix ?
MB : parce que je trouve qu’on ne voit pas assez de ganaderias portugaises. Le Portugal possède de grandes ganaderias historiques mais on en voit de moins en moins en France à part quelques toros ou novillos à Céret ou Vic. Donc je suis allé exclusivement fouiner cette année au Portugal.
TB : où es-tu allé et comment as-tu fait ton choix ?
MB : j’ai visité beaucoup de ganaderias : Vinhas, Canas Vigouroux, Condesa de Sobral, Valle do Sorria, Antonio Silva et Veiga Teixera, et j’ai choisi les deux dernières citées.
Veiga Teixera parce que c’est, avec Pinto Barreiros, un des plus vieux fer du Portugal qui appartient à une vieille famille ganadera du pays. C’est un élevage dur par excellence, avec beaucoup de bravoure. Chaque fois que c’est sorti à pieds, car ça sort beaucoup à cheval, on a eu des tercios de piques exceptionnels comme en 2012 à Orthez avec cinq des six toros. Je ne pouvais pas mettre deux élevages inconnus du public. Chez les aficionados « a los toros », Veiga Teixera c’est un nom important.
Quant à Antonio Silva, c’est un coup de cœur. C’est une vieille ganaderia. Antonio Silva est décédé il y a quelques années et c’est sa petite fille, Sofia Lapa, âgée d’à peine 20 ans, qui a pris le relais avec sa mère. Elle fait des études et s’occupe de la ganaderia le week-end. C’est elle qui s’occupe des tentaderos, c’est elle qui note et qui sélectionne les vaches. Elle est très exigeante et elle fait tienter les vaches à partir de quatre ans, … et en pointes. J’ai pu assister à un tentadero de neuf vaches avec Paulita et Joselillo. Je pensais qu’elle garderait au moins trois vaches et elle n’en a gardé qu’une. Pour elle, c’est priorité à la bravoure et à la mobilité ensuite. C’est un élevage à base d’Atanasio, de Conde de la Corte, et d’un peu de Domecq pour donner une forme de mobilité.
TB : cette ganaderia est-elle déjà sortie à pieds ?
MB : non, jamais. C’est une découverte et un pari. C’est aussi le devoir d’un organisateur de sortir des sentiers battus. J’aime beaucoup les encastes minoritaires, et si ça sort bien et qu’on la retrouve dans quelques années aux cartels d’autres arènes, j’aurai la fierté de l’avoir programmée en premier à Boujan.
TB : j’ai cru comprendre que ça allait être des novillos avec du volume et de la tête, très toristas dans la présentation. Le plus dur va être peut être de trouver des novilleros qui accepteront de se mettre devant.
MB : oui, ce sont des novillos qui sont nés en septembre-octobre 2015, qui approcheront donc des quatre ans et qui vont flirter avec les 600 kg. Déjà les années précédentes ce n’était pas facile de trouver des novilleros disposés à affronter les Dolorés Aguirre ou les Raso de Portillo. Cette année ce sera encore plus difficile, surtout pour les Silva, car on n’a aucun recul par rapport à un historique. C’est un saut dans l’inconnu tant pour l’organisateur que pour les novilleros, on part à l’aventure. Quant aux novillos de Veiga Teixera, tout le lot est de septembre 2015, on est donc à 3 ans et 10 mois, avec une présentation importante.
TB : si les novilleros veulent des infos sur le bétail, il faudra qu’ils contactent les toreros que tu as vus tienter.
MB : éventuellement, mais je pense que, comme pour la ganadera c’était un rêve de venir lidier en France, une fois que les cartels seront sortis, elle ouvrira ses portes aux novilleros pour tienter ses vaches.
TB : côté novilleros, tu as une idée ?
MB : oui, il y a des novilleros qui méritent de venir ou de revenir à Boujan. J’ai vu des garçons, durant cette saison, capables d’affronter du bétail difficile et qui avaient envie de toréer, même dans des petites arènes.
TB : quand aura lieu l’annonce des cartels ?
MB : ça se fera début mars comme d’habitude. Je prends mon temps pour confectionner les cartels pour que le choix des novilleros soit en adéquation avec celui du bétail. De plus, présentation importante ne veut pas dire forcément difficulté. Si les garçons sont capables de mettre la muleta où il faut, on peut voir de belles choses.
TB : pour être complets, parlons de la novillada sans picadors.
MB : j’ai choisi des erales de Concha y Sierra de Jean-Luc Couturier. Il y en aura quatre le dimanche matin avec les robes typiques de la ganaderia.
TB : et quant à l’environnement de la feria, y aura-t-il aussi une connotation portugaise ?
MB : oui, on est en train avec la mairie d’essayer de mettre au point un jumelage avec Corruche. On va essayer de mettre la cuisine portugaise au moins un jour au campo de feria, et aussi mettre en avant les produits du terroir, notamment au niveau du vin avec un rapprochement entre les vignerons locaux et les vignerons portugais. Egalement aussi apporter une note folklorique portugaise à la feria. Tout cela est en train de se mettre en place avec tous les partenaires. Le titre de la feria sera d’ailleurs cette année « Le Portugal s’invite à Boujan ». Il faut innover tout en restant dans la tradition taurine.
TB : souhaitons donc que le succès soit au rendez-vous de l’édition 2018 . Suerte !
Entretien réalisé le 23 octobre 2018 par Paco.